lundi 4 avril 2016

Auto(g)nomes ou les réjouissances de l'adolescence

Presque chaque fois que je vais chercher un(e) adolescent(e) dans la salle d'attente pour sa consultation, je me retourne et m'aperçois qu'il/elle ne m'a pas suivi. L'information n'a pas eu le temps de monter dans un cerveau fatigué, déjà encombré.
Le contact même visuel s'établit parfois avec difficultés, indépendamment d'une quelconque timidité.
Je ne sais pas si l'échantillon que j'observe quotidiennement est représentatif, ni si ma mémoire me permet de me rappeler quelle adolescente j'étais, mais en tout cas, j'ai l'impression que les adolescents sont des énigmes avec de nombreux paradoxes.
D'abord parce qu'ils semblent à l'aise, voire très à l'aise (ou faussement à l'aise?)
Ils arrivent les premiers au restaurant à 12 ans (l'adolescence commence plus tôt), ils s'installent. Ils entrent sans frapper dans un bureau. Alors qu'on se faisait oublier, ils occupent l'espace, ils osent.
Ils s'adressent de manière identique à un adulte et à un(e) autre camarade. Ils ont perdu cette distance, parfois cette considération. La politesse n'est plus une obligation.
Leur avis leur ayant été systématiquement demandé depuis leur plus jeune âge <<que veux-tu manger ?>>, ils émettent leurs opinions. Ils répondent à nos questions, même si on n'en n'a pas posé...Ils manifestent leur désapprobation, leur opposition.
Dans un monde où l'on a remplacé le désir par la possession, que peut-on vraiment attendre de nos enfants ?
Notre éducation pêche-t-elle ? Par défaut ou par excès ? Les adolescents sont-ils trop souvent laissés pour compte, livrés à eux-mêmes, jugés auto(g)nomes par des parents débordés par le chômage, par un travail harassant, par des conditions de vie plus difficiles? Le rôle des parents a-t-il changé?
Les parents font de leur mieux, ils essaient de se faire aimer, de plaire à leurs enfants, peut-être moins d'exercer leur autorité, de les cadrer, de les élever. Les règles de vie apparaissent contraignantes tant pour ceux qui doivent les subir et les respecter, que pour ceux qui les érigent.
Le rôle de l'Instruction Nationale devenue Education Nationale a-t-il changé ?
Autre point important: leur vacuité. Là aussi, difficile de se rappeler si on était plus intéressé à leur âge, force est de constater que nos ados naviguent dans un vide abyssal.
Pluggés à même la peau comme les héros d’Existen Z de David Cronenberg, ils sont inertes.
Les garçons écoutent leurs testicules pousser, les filles (sujet que j'avoue moins bien connaître) se déguisent en grandes: jupes en (faux?) cuir à 14 ans, gloss...
Ils/elles lèvent les yeux au ciel, ils n'écoutent rien, ils ne désirent rien. Philippe Sollers disait ainsi : <<la maladie de l'adolescence est de ne pas savoir ce que l'on veut et de le vouloir cependant à tout prix.>>
Impossible de les émerveiller. Leur accès à l'information et à la culture est facile, mais ils n'en font rien. Ils manquent d'idéologie, de rêve. Ainsi, ils sont mal perçus.
Il faut pourtant les comprendre. Stressés par un monde de plus en plus hostile, ils ne connaissent plus l'insouciance. Ils sont entourés d'images crues et violentes, de diktats, d'interdictions. Ils portent en eux nos souhaits, mais aussi toutes nos incertitudes, nos angoisses et nos peurs.
Et malgré toutes ces soi-disant précautions, ils manquent de repère, ils dérivent facilement. Il n'y a pas d'autre alternative que de continuer à leur manifester un amour et un soutien inconditionnels et ne jamais interrompre le dialogue, envers et contre tout.
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