vendredi 27 novembre 2015

Soigner les maux et les mots de France (un billet d’humeur tricolore)

Les médecins, infirmiers, psychologues et tous les autres continuent de traiter avec beaucoup de dévouement les blessures inhérentes aux attentats de ce vendredi 13 novembre. Certaines douleurs sont assourdissantes, certaines plaies ne pourront jamais se refermer.
Pendant ce temps, on invoque la cohésion nationale pour guérir nos maux. La fierté d’une France mélangée, solidaire, unie et soudée …dans la peine.
Où en est vraiment le sentiment patriotique français et son symbole tricolore, laissé pendant des années aux mains des nationalistes?
Le ciment national est-il suffisamment consistant pour être à l’origine de fondations stables et solides? On aimerait posséder autant de millions que le nombre de fois où le Premier Ministre nous abreuve de « nos valeurs ». Et si on reprenait les mots piliers de la République française pour se rappeler à leur utilité, sans langage infantilisant ni jugement culpabilisant. Juste les mots pour les expliciter, se les réapproprier, (re)connaître leur sens et leurs limites.
Qu’est-ce qui définit la République Française?
D’abord la laïcité. Ce quatrième pilier de la France est devenu le premier depuis plus de dix ans et on n’a jamais autant parlé de religions que depuis qu’on a réaffirmé la laïcité. Si votre vie religieuse ne s’est jamais imbriquée dans votre vie civile, et si vous avez aussi (malheureusement) baillé lorsque le Professeur évoquait la laïcité sur les bancs de l’école de la République, vous pouvez être amené à la confondre avec une hostilité vis à vis de la religion, ou avec une certaine neutralité obligatoire de chacun.
En fait, ce serait, d’après le philosophe H.Pena Ruiz, un principe égalitaire autorisant la liberté de conscience avec une égalité des croyants et des athées, un premier pas vers l’antiracisme? Il s’agirait aussi, toujours d’après les spécialistes, de la neutralité de l’Etat et de ses représentants (conséquence de la séparation des Eglises et de l’Etat) pas de la neutralité des citoyens! D’où les débats houleux, les avis controversés (sur les signes extérieurs religieux dans l’espace publique et privé notamment) depuis des années avec plus récemment la question de la légitimité des crèches dans les mairies à Noël.
Et la Liberté, premier pilier historique de notre République, depuis la Révolution de 1789. Sous couvert de cette liberté que doit-on accepter? D’écouter certains vomir sur une religion sous le (faux) prétexte d’un conflit territorial lointain externe à la France? De laisser tenir des propos équivoques sur la condition de la femme?
Et puis, il y a plein d’autres mots qu’il est toujours difficile de manipuler.
L’intégration, mot beaucoup moins péjoratif qu’assimilation, mais encore très souvent précédé du mot effort. Peut-être que le mot concession serait un préfixe plus intéressant. Comme lors d’un mariage où chacun s’accepte tel qu’il est malgré les difficultés impliquées et où chacun reconnaît dans l’autre un passé et même s’en approprie tout ou partie.
Concernant ce qu’on qualifie de « diversité » environ 50% des français étant issus de l’immigration, la diversité serait-elle vraiment une minorité de la population française?
Quant aux amalgames, je croyais à un vieux terme utilisé jadis par les dentistes…
Soigner les mots de France est très important, sans faux bons sentiments, ni glue unitaire ou gélatine verdâtre, contribuera sans doute à soigner les maux de France.

F

samedi 14 novembre 2015

20 ans ont passé, tout a changé?

Ce vendredi 13 novembre 2015 me rappelle un autre jour.
Il faisait chaud à la bibliothèque de ma faculté de médecine ce 25 juillet 1995. Nous étions étudiants, nous préparions le concours de l'Internat, au moment où les bruits assourdissants des véhicules des pompiers et du SAMU et leurs lumières stroboscopiques, arrivés aux urgences, ont attiré notre attention. Nous avions compris que quelque chose s'était produit peut-être pas très loin.
A l'époque, rappelons-nous, pas d'iPhone, pas de BFM TV, pas de Facebook, pas de Twitter... (mes connaissances s'arrêtent là, vous pouvez compléter), donc pas d'information immédiate, seulement des suppositions.  Après renseignements pris au sein de la faculté et aux urgences médico-chirurgicales en face, un RER aurait déraillé à la station St-Michel vers 17h30, faisant morts et blessés. Situation de crise à l'hôpital.
Nous avions repris nos blouses dans nos services respectifs, nous nous étions portés volontaires pour aider nos collègues aux urgences, d'abord par humanité, par compassion, mais aussi parce nous savions à quel point la médecine de catastrophe était formatrice et utile. C'est un moment extraordinaire pour un médecin au sens propre du terme. 
Mais nous ne savions pas alors de quelle catastrophe il s'agissait vraiment. 
Aux urgences, les brancards s'entrechoquaient, l'anarchie régnait. Les blessés saignaient, les cris nous habitaient. De nombreuses sutures après, nous sommes enfin rentrés chez nous. Et là, dans nos radios, dans nos télés, le mot était lâché: attentat.
Depuis, vingt ans ont passé. Depuis, tout a changé: les combats, les ennemis, les gouvernements, les médias, la façon de relayer les informations, la façon de réagir aux informations. Tout a changé? Quand le pire vient d'arriver, comment se douter que ce ne serait pas un cas isolé, qu'il y aurait d'autres vies dévastées.
Je n'avais (presque) jamais évoqué cet événement, ni à mes amis, ni à ma famille, jusqu'à aujourd'hui, avec les yeux rougis. 

F