vendredi 26 juin 2015

Les pères et les mères veilleux

Je demandais de ses nouvelles à un patient trentenaire dont la femme venait d’avoir leur premier bébé. Dans cette situation, la réponse est souvent directe, automatique, empreinte de bonheur, de fierté, de joie extrême, parfois explosive.
Mais là, je ne le sentais pas si enthousiaste pour un jeune papa, plutôt hésitant, circonspect. Il m’a fait part de ses difficultés nouvelles, de sa peur de ne pas être à la hauteur de cette tâche, de ses doutes quant à accepter une telle dépendance réciproque. Soyons clairs: un tel discours si franc, si clairvoyant, était une vraie nouveauté! Je n’avais jamais entendu, en consultation, comme à la sortie de l’école, que des parents satisfaits, pétris de certitude. Même mon ami d’enfance, que j’avais perdu de vue pendant plus de 10 ans, lorsque je l’ai rappelé, m’a immédiatement inondé de phrases mielleuses concernant ses enfants « magnifiques » de 14 et 12 ans.
C’était peut-être sa façon d’exprimer sa satisfaction tout simplement, ou sa supériorité, je ne sais pas. Qui qualifie de « magnifiques » des adolescents? J’avais failli lui répondre que les miens étaient moches et cons, mais d’abord c’est heureusement faux, et en plus, je ne savais pas si c’était son manque d’humour qui nous avait éloigné ces dernières années…
Cet accès admiratif s’envisage avec des tout petits parce qu’ils ont des beaux traits et qu’ils ne sont pas encore  effrontés ou insultants, mais après? Cette dithyrambe s’inscrit dans une méthode Coué ou dans une façon d’exprimer sa propre perfection, les enfants étant la conséquence et le prolongement de cette perfection supposée. C’est de la poudre aux yeux, la perfection n’étant pas le propre du genre humain.
Les enfants s’intègrent dans nos vies, sans formation préalable ni diplôme, à l'instar d'un projet immobilier, travaillé, réfléchi et réalisé à un moment précis. Sur leurs épaules reposent tous nos espoirs et nos souhaits.
Pères et mères sont les architectes de l’éducation a dit jadis Plaute, mais sont-ils les seuls, quel est donc leur véritable rôle? Nous souhaitons tous le meilleur pour nos enfants, avec une échelle différente d’une famille à l’autre. Attendons-nous trop d’eux? Pourtant, ne rien attendre n’arrangerait pas les choses… Avons-nous changé de cadre? Qui faut-il alors  blâmer lorsqu’ils ne sont pas à la hauteur de nos espérances ou de celles de l’Education Nationale?
Ces pères et ces mères veilleux, parfois méprisants, souvent moralisateurs, oublient facilement qu’aucune relation linéaire n’existe strictement entre, ce que nous sommes, nos préceptes et le devenir de nos merveilles.
F

mardi 16 juin 2015

Dure à avaler!

Une dispute musclée venait de débuter en salle d’attente entre une mère et son fils adolescent d’une quinzaine d’années, régulièrement suivi pour une acné. Je les entendais hurler sans distinguer l’objet d’une telle colère. Je proposais donc de le voir seul, sans sa maman excédée, ils acquiescèrent tous les deux.
Le jeune homme s’étonnait de la réaction (disproportionnée) de sa mère alors qu’il venait de se faire renvoyer de son (célèbre) établissement scolaire parisien pour «rapports sexuels dans les toilettes».
En fait, m’expliqua-t-il, «ce n’était pas un rapport sexuel mais une fellation», je vous résume, il l’a bien sûr dit plus vulgairement…
Et là, j’étais bouche bée réalisant à quel point j’avais vieilli. Depuis quand la fellation n’est plus considérée comme un rapport sexuel? Flûte alors! Elle est devenue un jeu d’adolescent? Mon sang de maman n’a alors fait qu’un tour.
Plus stupéfiant encore, le déroulement de l’épisode. Avait-il été pris d’un désir fougueux pour sa petite amie, et excité en cours de littérature, après avoir étudié Raymond Radiguet et son fameux diable au corps? Que nenni! Ce n’était pas son amoureuse, il ne lui avait jamais caressé la main en lui chuchotant des mots tendres, il ne l’avait même jamais embrassé auparavant …
C’était juste une camarade de son groupe de copains et de copines, des élèves studieux, avec lesquels cette petite séance sexuelle s’était improvisée dans les toilettes avec fellation pour certains couples et cunnilingus pour d’autres.
La parité s’exerce parfois à des moments inattendus. Tous avaient été immédiatement repérés et renvoyés aussitôt, en pleine année scolaire …
L’entrée en sexualité s’effectue de plus en plus tôt et de manière parfois abrupte, irréfléchie, dans un esprit de compétition. Doit-on blâmer les parents? Trop détachés, trop occupés, trop confiants, ils délèguent l’éducation et faillissent à leur rôle? L’école, l’éducation nationale, qui gère déjà d’autres enseignements? Les médias? Les réseaux sociaux? Ils ont sexualisé notre environnement dès le plus jeune âge et ont banalisé le sexe. Il est désormais sorti du contexte affectif de départ: la relation amoureuse.
Les adolescents discernent quelquefois mal le côté fictif de certains films pornographiques, pourtant relativement évident à l’âge adulte, contrairement à celui des films d’aventures.
Je restais perplexe, quant à toute cette histoire, qui, vous en conviendrez, est un peu dure à avaler!

F

vendredi 5 juin 2015

A la vie !

Ce patient d’à peine 45 ans consultait pour une cicatrice de triple pontage coronarien, suite à un infarctus massif brutal et récent. Un sportif, marathonien, non tabagique. Pas le candidat idéal à un décès prématuré a priori…
Sa vision de la vie venait de changer radicalement. Le compteur s’était remis à zéro, il se sentait miraculé. Il avait, selon ses mots, rencontré Dieu, et aussi ses serviteurs sur Terre - en matière de santé du moins- à savoir les Soignants. En théorie, nous savons tous que la santé est un bien inestimable, on se la souhaite bonne, tous les 1er janvier.
Mais en pratique, quand aucune douleur physique n’est ressentie, que le corps et l ‘esprit ont l’air de fonctionner, on ne réalise pas assez à quel point la vie ne coule pas de source.
Tant qu’il n’y a pas de mise en garde, on ne mesure pas sa chance. On ignore (et heureusement, sinon on ne vivrait pas sans une consommation délirante d’anxiolytiques…) que tout peut basculer malgré tant d'effort.
J’avais malheureusement déjà vécu une situation similaire. C’était un 12 octobre, certaines dates ne s’oublient jamais. Je donnais une ordonnance à un patient au moment où tout s’est arrêté, je ne comprenais plus ses questions, je ne parlais plus, je bredouillais des sons inaudibles. Et là, je ne me rappelle que des lumières du véhicule du SAMU, du bruit des sirènes, de mes cris, des Urgences, des infirmières en train de courir puis d’un silence complet..
Je croyais me réveiller au paradis, j'apercevais des ombres blanches et floues s'agiter, mais j’ai vite reconnu des draps familiers jaune clair, avec le logo APHP (Assistance Publique Hôpitaux de Paris).
Je ne bougeais toujours pas mais j’avais très mal, j’étais donc toujours vivante!
Et là, les réactions de mon entourage, très inquiet en majorité, avec parfois des nuances étranges me laissant entendre à quel point on est finalement remplaçable...
Je décidais de me remettre rapidement sur pied jugeant la mélancolie trop inconfortable.
Si vous aviez une deuxième chance, à quoi et à qui penseriez-vous en rouvrant les yeux ? A vos familles ? A vos amours passées et présentes ? A la maison de votre enfance ? A faire un safari en Tanzanie ? Une mission humanitaire en Asie ?
Je viens juste de fêter mon anniversaire, quelle joie s’associe désormais à un événement d’apparence si ordinaire.
Alors, à tout ce qui suit, et à la vie !


F